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La mentalisation
par Catherine Desrosiers
Comme parents de jeunes enfants, vous êtes peut-être préoccupés par les conflits répétés dans la fratrie ou par les raisonnements de vos enfants qui vous semblent immatures par moments. Comme nouveaux parents, vous êtes peut être préoccupés sur la façon de faire afin de favoriser un attachement sécure. Comme parents, vous avez peut-être un jeune adulte qui vient de recevoir un diagnostic de trouble de personnalité. Peut-être avez-vous remarqué que votre jeune enfant, en opposition constante, a tendance à toujours accuser les autres de ses propres représentations internes. Si l’une de ces situations vous interpelle, vous serez peut-être intéressé par la notion de mentalisation. Je vais tenter de vous y introduire par cet article.
Débutons par un exemple. Frérot bloque le passage à son grand frère dans le corridor. Grand frère, découragé par le regard défiant de frérot, passe en le poussant. Frérot qui bloquait initialement le passage accusera à grands cris son frère de méchanceté, de l’avoir poussé, en proie à une colère vengeresse.
Peu importe où vous en êtes dans votre parcours d’adoptant, vous savez qu’un enfant adopté est toujours plus à risque de développer des difficultés relationnelles en lien avec son histoire où une, et bien souvent plusieurs ruptures de liens ont parsemées son chemin de vie. Les habiletés sociales seront souvent plus difficiles à construire adéquatement et sa capacité de donner sens à ce qui lui arrive est également entravée.
Un mélange de confiance en vous et de souplesse intérieure, accompagné de bon accordage sur la lecture des besoins de vos enfants feront la solide base sur laquelle se construira votre futur avec l’enfant. Celui-ci a également sa propre capacité d’y répondre, sa propre capacité de mentalisation qui à son tour favorise un bon développement. Vous comprendrez à quel point tous cela s’additionne, dans une richesse infinie de possibilités.
Mais revenons à notre fascinant sujet. Peut-être avez-vous parcouru l’article rédigé en septembre dernier par ma collègue, sur la réciprocité contingente. Je poursuis à mon tour en vous parlant de mentalisation.
Il y a deux étapes à ce processus de maturation psychique. La première étape est d’arriver à faire une lecture du comportement qui va au-delà de l’observable et du concret, à partir de représentations internes pouvant l’expliquer.
La deuxième étape réfère aux « habiletés de l’individu de comprendre que les hypothèses qu’il élabore à partir de l’observation de son propre comportement et de celui des autres ne sont que des représentations mentales de la réalité issues de sa propre perspective et non une réalité objective et certaine. » (Terradas et al., 2016).
Dans l’exemple des deux frères, le frère observe l’autre frère marchant vers lui : « Il marche vers moi ». Il faut ensuite avoir la capacité de référer à ses états internes pour l’expliquer. Le frère pourrait par exemple avoir comme discours intérieur : « il marche vers moi, il a l’intention de me pousser ». Frérot projette sur son frère ses propres représentations, issues d’une longue histoire d’échecs relationnels. Frérot est en mode «je dois me défendre car mon frère est une menace, je vais frapper mon frère», et projette ses intentions implicites (donc inconscientes) sur grand frère dont le seul but, est d’aller dans sa chambre.
Frérot a besoin d’être accompagné dans ses tentatives de créer des liens avec les autres. Par sa provocation, il se met en échec dans sa relation avec l’autre. Le parent mentalisant va reprendre la situation avec lui pour l’aider à donner un sens plus adéquat à ce qui vient de se produire. «Penses- tu que ton frère avait l’intention de te nuire en passant près de toi? Ne penses-tu pas qu’il avait l’intention d’aller dans sa chambre, qui est sur ce chemin? As-tu besoin de ton côté aussi parfois de passer devant quelqu’un pour atteindre ton but? Cela m’arrive souvent de mon côté et voilà comment je fais». En faisant cela, on aide l’enfant à organiser ses pensées et ses émotions. Cela diminue la confusion ou l’anxiété. On réinterprète la situation.
Ce processus se fait naturellement chez la très vaste majorité des parents. Sans se poser de questions.
Chez les enfants ayant subi de la négligence, une attention accrue est nécessaire. Encore là, probablement que le travail se fait pour la majeure partie du temps de façon naturelle. L’avantage d’en prendre connaissance, c’est de raffiner ces processus et de rester persistant dans vos interventions.
La mentalisation est essentielle pour développer de bonnes habiletés sociales, car ces habiletés dépendent de la capacité de prédire et comprendre les comportements de soi et des autres, en les reliant à nos états émotionnels. Un individu ayant développé une bonne capacité de mentalisation aura une flexibilité dans les processus de sa pensée qui lui permet de comprendre qu’il peut se tromper dans sa compréhension du comportement d’autrui.
Mentaliser, c’est donner un sens à ce que nous vivons, connecté avec sa charge émotive. « Mentaliser, c’est renoncer à contrôler. C’est contenir ses émotions et ses réactions, mais sans maîtrise rigide (…) Cela permet d’être capable de tolérer les incertitudes de la vie… » (Hawkes, 2010). Cela demande la capacité d’apporter des nuances et non de compartimenter en blanc et noir. Cela permet de se mobiliser, plutôt que de rester dans une attente passive. Voilà qui constitue des clés intéressantes pour la vie adulte, n’est-ce pas?