Mon expérience comme sœur d’accueil et d’adoption
Mon expérience comme sœur d’accueil et d’adoption

Mon expérience comme sœur d’accueil et d’adoption

Histoire d’adoption : le point de vue d’un membre de la fratrie

Une histoire de famille pas comme les autres :
celle d’une grande sœur investit ayant un rôle de soutien pour toute la famille.

Je m’appelle Arianne, j’ai 24 ans. Je travaille avec des enfants, des ados, des adultes et des personnes âgées vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. J’ai un diplôme en techniques d’éducation spécialisée. Je suis la sœur de deux garçons : l’un est mon frère biologique qui a un TDAH, et l’autre est un enfant que nous avons accueilli dans notre famille, un enfant Emmanuel. Je suis aussi la cousine d’un autre garçon qui vit avec nous aujourd’hui, et pour moi, ils sont tous mes frères sans exception, sans hiérarchie, sans différence dans mon cœur.

J’ai toujours pensé à l’adoption, je me souviens en 6ᵉ année quand je répétais à ma mère : « Moi, plus tard, je veux adopter. Je veux offrir aux enfants une famille. » J’ai été élevée par une mère, un beau-père et un père. J’ai eu la chance d’être entourée. D’autres n’ont pas cette chance, et ça m’a toujours touchée.

En janvier 2022, quelques jours après Noël, la maison de ma mère et de mon beau-père a brûlé. Mon frère était là et mes parents aussi. Heureusement, personne n’a été blessé. Moi, je n’habitais plus avec eux, je demeurais avec mon père biologique. J’ai alors pris le relais : répondre aux messages, rassurer la famille, absorber un peu du choc qu’ils vivaient. Ils ont dû faire un deuil, celui de leur foyer, celui de leur quotidien, des souvenirs d’enfance, de minuscules urnes des défunts significatifs pour eux. Hébergés chez ma grand-mère, ils ont dû se reconstruire.

C’est là qu’est arrivée une première grande décision familiale : offrir une stabilité à mon cousin, un garçon de 12 ans qui vivait difficilement dans sa famille d’accueil. Chez nous, quand un enfant dit : « J’ai besoin d’aide », on l’écoute. On ne prend jamais ça à la légère. Nous l’avons accueilli au sous-sol de chez ma grand-mère. Quand j’ai appris son arrivée, je me suis mise à lire sur ses intérêts : les mangas. J’en ai acheté, j’ai appris à lire de gauche à droite, ainsi qu’en commençant de la fin du livre jusqu’au début, le langage. Je n’ai pas fait cela pour faire semblant : c’était pour créer du lien et ça a fonctionné.

Mon cousin est autiste, niveau 1, et TDAH. Quand il avait besoin de parler, de se vider la tête, de choisir une activité, j’étais là. Aujourd’hui, il a 17 ans. Il vit toujours avec nous. Il a trouvé sa place et moi, j’ai gagné un frère.

L’Association : un tournant majeur

En 2022, ma mère a trouvé une nouvelle maison, elle nous a parlé de son projet d’adoption avec l’Association Emmanuel et des étapes à venir. Chez nous, rien n’est caché. Tout se décide ensemble parce qu’une famille, ce n’est pas seulement deux adultes : c’est toute une maison qui se transforme.

Ma mère et mon beau-père ont fait les séances d’information et les formations. Ma mère nous racontait les histoires d’enfants cherchant une famille et puis il y a eu lui, Cocorico (surnom qu’on lui a attribué dès le début de cette aventure). Un petit garçon avec un bagage beaucoup trop lourd pour son âge : un trauma complexe, une histoire plus grande que ses épaules, une manière d’exister à pleine puissance comme si vivre était son seul moyen de survivre.

Lors de la rencontre de portrait, j’ai pris des notes de la même manière que j’ai appris à le faire lors de mes études en éducation spécialisée : comment créer un lien, ses intérêts, ses difficultés, ses besoins. Je voulais comprendre et aider. Je voulais qu’on lui offre ce que tout enfant mérite : une base solide pour grandir.

L’arrivée de Cocorico : entre amour et pression

Quand ce petit coco est arrivé dans la famille, la règle du cocon commençait : trois mois sans sorties, sans nouvelles rencontres, pour créer son lien d’attachement avec mes parents. De mon côté, ce n’était pas difficile parce qu’il était là, un ajout dans la famille, cela a été difficile car soudainement je ne pouvais plus visiter ma famille. Je vivais alors chez mon père biologique et j’allais au cégep, en plein stage. Je devais téléphoner à la maison à des heures précises, sans le voir, sans rencontrer mon nouveau frère. Mes parents me parlaient de lui, mais je n’avais ni image, ni repère, ni visage. Ils me disaient qu’il courait dans la maison et qu’il disait qu’il voulait avoir le même nom de famille que nous. C’était comme aimer un petit fantôme qu’on ne peut pas toucher. Ces contraintes et cette distance ont été difficiles pour moi. Le stress m’a rattrapée, je n’avais plus d’énergie. J’ai fini par abandonner mon stage. J’allais plutôt vivre l’accueil de mon nouveau frère, prendre le temps de faire sa connaissance, étape par étape.

La rencontre

Après des semaines d’attente, Cocorico m’a vu en FaceTime. Il était curieux, posait des questions. Puis, un jour, il est venu me chercher avec ma mère et mon beau-père. Je me souviens du moment où nos regards se sont croisés. Je lui ai fait des grimaces, des jeux de regard et il me les a retournés. Je lui ai parlé de moi. Le lien a pris racine immédiatement.

Toute la fin de semaine, il est resté collé à moi. On a joué aux dinosaures, aux autos, aux casse-têtes et dans de la farine! Je le laissais jouer seul, mais dans la même pièce : assez près pour qu’il me sente là. C’était naturel, simple et évident.

Le défi des émotions

Quand ma mère devait aller faire des courses, je restais avec Cocorico. J’étais officiellement sa gardienne attitrée avec les autorisations de la DPJ et mon cours de RCR que j’avais fait dans le cadre de mon emploi. Lorsque je le gardais, j’ai eu droit aux crises, parfois même aux morsures.

Comme sœur d’accueil, je n’avais pas mille outils. Je pouvais seulement rester avec lui, le rassurer, l’aider à se calmer et lui expliquer qu’il avait d’autres façons d’exprimer qu’il n’allait pas bien. J’en ai parlé à ma mère et à mon beau-père : il fallait travailler la gestion des émotions. J’étais prête à les aider. Je devenais un peu leur référente, mais surtout la sœur.

Les semaines ont passé et, petit à petit, il a changé. Quand il était fâché ou triste, il le disait avec des mots et quand il avait besoin de s’isoler, on le savait : il allait dans sa chambre, se blottir dans son coin calme où un gros coussin était installé avec sa bibliothèque et sa boîte de retour au calme, qu’on avait fabriquée ensemble. Quand je partais en cours ou au travail, je l’appelais aussi souvent que je pouvais. Il craignait que je parte et que je ne revienne pas.

La rentrée en maternelle et les rendez-vous médicaux

La rentrée en maternelle a été difficile pour lui. Je le sentais dans les conversations avec ma mère, et dans son petit visage piteux le soir en revenant de l’école. Généralement, après l’école, il explosait : sa tasse de thé était trop pleine de l’accumulation de ses émotions qu’il a vécues dans la journée. Une sieste devenait nécessaire pour l’aider à vider le trop plein d’émotions. 

J’ai assisté à certains de ses rendez-vous médicaux, parce qu’il a des douleurs inexplicables aux jambes. Malgré les tests génétiques, les radios, les scans et une ponction du genou, ils ne savent pas encore aujourd’hui ce qu’il a. Un jour, il m’a demandé que je vienne avec lui et ma mère lorsque mon beau-père travaillait. C’est déchirant de voir son frère se débattre, enroulé dans une couverture et maintenu par deux infirmières et un préposé au bénéficiaire, pendant qu’ils essayaient de prélever du sang. Cette journée-là j’étais épuisée pour lui de l’avoir vu comme ça.

Les premières expériences

Nous avons vécu tellement de premières fois avec Cocorico. On l’a amené au Bora Parc, au cinéma, au bowling, au spectacle de Jurassique World, à Illumi et dans plein d’autres endroits. 

Cependant, il y a un moment qui reste gravé dans ma mémoire : la soirée des feux d’artifice de la Saint-Jean. On était dans un village voisin, assis dans l’herbe. Cocorico était assis sur ma mère, les yeux pleins d’étoiles. Et là, il lui a dit : « Tu sais maman, c’est la première fois que je vois des feux d’artifice. » Il est resté collé à elle longtemps, pendant que maman pleurait à chaudes larmes. Ça m’a réchauffé le cœur et en même temps, ça m’a frappée : à son âge, moi j’avais déjà connu tout ça.

L’arrivée et le départ d’un autre enfant

Deux ans après Cocorico, un adolescent Emmanuel a rejoint notre famille. Il nous a dit qu’il voulait sortir du centre jeunesse, qu’il n’y était pas bien. Il appelait cet endroit « l’enfer ». Il a passé cinq mois avec nous. Cinq mois où nous avons découvert un garçon désorienté, en acquisition de son identité, mais qui réussissait tout de même à s’épanouir chez nous. Malheureusement, en raison d’une combinaison de facteurs et pour son bien-être, il a dû retourner en centre jeunesse. Ma mère et mon beau-père ont pleuré. Ce fut un deuil pour tous, mais aussi l’occasion de réaliser que les membres de notre famille se soutiennent les uns les autres, malgré tout.

Avancer vers un autre projet de vie

En 2025, mes parents ont été approchés pour un nouveau projet d’accueil d’un enfant d’une autre nationalité. Moi et ma mère voulions préparer quelque chose de significatif pour mes frères, un petit moment pour ouvrir la porte à cette culture. Alors, j’ai fait des napperons avec la carte du pays et le drapeau. De plus, nous avons décidé d’écouter une émission de télévision de voyage sur ce pays et de cuisiner un plat typique de leurs origines. À la boutique spécialisée, nous avons demandé conseil pour choisir un repas authentique. En sortant du magasin, dans la voiture, on s’est mises à écouter des vidéos pour apprendre à dire bonjour et bon appétit dans la langue d’origine. Les garçons nous regardaient intrigués. C’est finalement au souper que l’annonce a été faite. Nous avons parlé de la possibilité qu’un enfant issu d’une autre culture puisse rejoindre notre famille prochainement. Nous sommes dans les démarches et attendons les détails. Mais une chose est certaine : nous sommes prêts dans l’éventualité où ce projet se concrétiserait! 

L’Association Emmanuel, ce qu’elle représente pour moi

L’Association, pour moi, c’est un pont. Un pont entre un enfant et une famille, entre un passé parfois difficile et un avenir plus stable. J’ai participé à trois Noël Emmanuel ainsi qu’à un Camp familial, et chaque fois, j’ai constaté la force de l’entraide, de l’encouragement et de l’écoute qui circulent entre les familles.

Ces rencontres permettent aux parents adoptants ou d’accueil de se rassembler, de partager leur expérience, d’offrir ou de recevoir des outils et de l’accompagnement, et d’ouvrir leur esprit aux réalités que vivent d’autres enfants et d’autres parents. C’est un espace dans lequel on peut discuter librement des étapes, des défis et des petites victoires du quotidien.

Ce que j’ai aussi remarqué, c’est que dans ces moments-là, on peut simplement être nous-même. Le camp est un espace sécurisant, un lieu où les enfants comme les parents peuvent souffler. Et surtout, si un parent est occupé, un autre va prendre le relais. Chacun veille sur les enfants des autres, comme si tout le monde faisait partie de la même maison élargie.

Auprès de ces parents et des miens, j’ai vu quelque chose de très fort : une vraie soif de comprendre, d’apprendre et de s’améliorer constamment. Une curiosité sincère envers les enfants qu’ils accompagneront tout au long de leur vie et, notamment, une ouverture solide et profonde face à la différence.

Cette expérience a aussi ouvert les yeux de mon frère biologique : il a compris que ce ne sont pas juste les parents qui doivent mettre du sien, mais aussi les frère et les sœurs.

Signification d’une sœur pour moi

Être sœur d’accueil m’a appris que la famille ne se limite pas aux liens de sang. Elle se construit avec courage, patience, et beaucoup d’amour. J’ai grandi en même temps que chacun des garçons qui est entré dans notre vie.

Aujourd’hui, je regarde notre famille et je vois un parcours rempli de défis, mais surtout rempli de sens. Cocorico, mon cousin, chacun d’eux m’a appris quelque chose de précieux : que l’on peut devenir sœur par choix, par cœur, par engagement. Et peu importe les projets qui s’en viennent,  de nouveaux enfants, de nouvelles histoires, de nouveaux défis… Je sais maintenant que ma place est là, être une sœur qui accueille, qui soutient et qui ne lâche jamais. Une famille d’accueil et d’adoption, ce n’est pas seulement ouvrir sa porte, c’est ouvrir son monde.

Photos : Courtoisie