L’empreinte génétique
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L’empreinte génétique: l’impact génétique des traumatismes

par Claude-Hélène Desrosiers

L’épigénétique étudie les changements dans les gènes qui ne peuvent être expliqués par des changements dans l’ADN. Cela nous permet de comprendre l’impact de l’environnement sur notre cerveau, en particulier dans le cas de traumatismes ou d’abus. Cette branche de la génétique explique en effet comment des événements peuvent modifier les gènes, c’est-à-dire comment les gènes peuvent être «  sculptés » par le milieu environnemental. Le plus étonnant, c’est que ces gènes modifiés sont ensuite transmissibles de génération en génération.

Ainsi, l’aïeul qui a vécu une déportation, une guerre, une grande famine, a laissé des traces dans les gènes de ses descendants. Même si elle est diluée, cette « empreinte » démontre que nous portons des histoires, parfois dont nous ne nous souvenons pas. 

« (Nos expériences) font partie de nous comme un résidu moléculaire s’accrochant à notre échafaudage génétique. L’ADN reste le même, mais nous héritons de tendances psychologiques et comportementales. »

DAN Hurley (2013), traduction libre de l’anglais

Les victimes d’abus durant l’enfance présentent par la suite une surproduction de cortisol en situation de stress.  On peut observer une différence au niveau de l’hippocampe de ces personnes fragilisées. Il est important de souligner qu’un enfant est particulièrement vulnérable dans les toutes premières années de sa vie.

Boris Cyrulnik, en entrevue avec  Goldbeter-Merinfeld, parle de l’important bouillonnement des synapses en très bas âge. Dès que l’on s’occupe de l’enfant, ce bouillonnement reprend très vite. Il explique :

« L’effet maléfique de ce bouillonnement synaptique, c’est que si l’isolement et la privation relationnelle affective durent trop longtemps, les synapses se bouchent, il y a éclatement des noyaux cellulaires sous l’effet de l’œdème du stress, les noyaux des cellules gonflent et les canaux se dilatent, le gradient de sodium/potassium est inversé et la cellule éclate, et là, ce n’est pas réparable. La plasticité neuronale peut être d’un grand bénéfice, ça redémarre très vite, ou un grand maléfice si on laisse, si on abandonne l’enfant trop longtemps. Ça peut redémarrer plus tard, ou ailleurs dans une autre zone cérébrale. »

boris cyrulnik dans une entrevue avec edith goldbeter-merinfield (2009)

Stress prénatal

Dès le ventre de maman, le bébé est exposé au stress. Un événement traumatique vécu par la mère durant la grossesse (par exemple, le décès du conjoint) peut aussi avoir des séquelles sur le développement du fœtus. La mère qui fait face à un stress important libère alors un taux élevé de cortisol, qui a un effet direct sur le fœtus.

Le moment d’exposition au stress durant la grossesse est important. Certains moments sont plus déterminants dans le développement de bébé, particulièrement à la 10e semaine et entre la 24e et la 30e semaine de grossesse. Durant la 10e semaine, l’embryon devient fœtus et le cerveau fabrique environ 250 000 neurones chaque minute. La période entre la 24e et la 30e semaine est également importante car durant celle-ci, la connexion cellulaire entre neurones se multiplie.

Un stress extrême durant ces périodes aura un impact au niveau physique, cognitif et comportemental. Bien que nous ne puissions supprimer toute source de stress durant la grossesse et durant les premières années de vie de notre enfant, nous pouvons toutefois utiliser deux trucs de base : relaxer et ne pas s’inquiéter pour tout et pour rien (l’anxiété n’aide en rien nos compétences parentales), et avoir beaucoup de contacts physiques avec notre enfant (le toucher est crucial au développement du cerveau et pour la création de liens).

Et pourtant…

Rien n’est pourtant fatalement déterminé. Le marquage épigénétique peut changer, contrairement aux mutations génétiques qui sont irréversibles.  Un enfant ayant vécu des situations de négligence et qui reçoit par la suite des soins appropriés peut finir par se développer normalement. Des recherches l’ont démontré, entre autres chez des enfants d’orphelinats roumains : 2 enfants sur 3 s’étaient développés normalement plus tard et avaient fait preuve d’une résilience extraordinaire.

Et cela veut dire l’espoir, et non la fatalité.

Histoire de cas: Simone

Simone a passé ses premières années de vie dans un milieu familial où elle a connu de la négligence grave. Son développement en a été modifié de façon importante, jusqu’à en laisser des modifications dans ses gènes qui pourraient ensuite être transmis chez ses enfants et petits-enfants. La mère de Simone a vécu de la violence conjugale durant la grossesse et vivait dans la peur quotidienne. Cette dose de stress constante a commencé à affecter le développement de Simone dès sa conception. La naissance, qui n’a pas été vécue sereinement, a aussi été vécue comme un traumatisme, de même que les premiers mois de vie de la petite, dans ce milieu négligent et insécurisant (par sa mère qui n’était pas outillée) et violent (par son père). Quand Simone a été retirée de son milieu par la DPJ, elle avait déjà des séquelles : plus petite que les autres de son âge, avec un retard d’apprentissage et de graves troubles de l’attachement. Simone était une petite très anxieuse.


Simone a eu la chance d’être accueillie par une famille adoptive qui lui a donné les bases sur lesquelles elle a pu se construire. Elle a repris ses retards de développement tant physique que cognitif. Cyrulnik parle plutôt  de nouveau développement  (au lieu de reprise de retard, ou « catch up » en anglais). Simone aura un développement positif, mais différent de celui qu’elle aurait eu sans traumatisme. Elle aura peut-être une façon différente d’entrer en relation, ou encore une immaturité à certains niveaux.


Par contre, l’essentiel, c’est que Simone pourra continuer de se développer.

Sources
Goldbeter-Merinfeld, Edith. « De la neurobiologie à la psychothérapie. Interview de Boris Cyrulnik».  [En ligne]. http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CTF_043_0017 . [Consulté le 9 décembre 2013].
Hellstrom, Ian. «Epigenetics as a Substrate for Gene-Environment Interaction».  [Vidéo en ligne]. http://vimeo.com/8110363 . [Consulté le 9 décembre 2013].
Hurley, Dan. « Grandma’s Experiences Leave a Mark on Your Genes». [En ligne]. In Discover: http://discovermagazine.com/2013/may/13-grandmas-experiences-leave-epigenetic-mark-on-your-genes#.UqYCAuK_X5M [Consulté le 9 décembre 2013].
Institut Douglas. « Épigénétique : quand l’environnement modifie les gènes », [En ligne]. http://www.douglas.qc.ca/info/epigenetique [Consulté le 9 décembre 2013].
Institut Douglas. « Stress maternel prénatal », [En ligne]. http://www.douglas.qc.ca/info/stress-prenatal  [Consulté le 9 décembre 2013].
Turecki, Gustavo. « La maltraitance infantile marque le cerveau ». [Vidéo en ligne]. http://www.douglas.qc.ca/videos/167 et http://www.douglas.qc.ca/videos/168 [Consulté le 9 décembre 2013].
Cet article est tiré de notre Journal L’Éclosion de décembre 2013.

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